En octobre 2008, environ 80 personnes ayant le statut de réfugié occupaient la Clinica San Paolo, une ancienne clinique privée située au Corso Peschiera 178 à Turin. L’occupation était organisée pour exiger des logements à cause du manque de place dans les structures officielles. Une situation également dénoncée par le porte-parole du Haut Commissariat pour les Réfugiés, après avoir visité un autre établissement occupé par des réfugiés à Turin, Via Bologna.
En Italie, le droit d’asile est garanti par l’article 10 de la Constitution. Aujourd’hui, 12 440 réfugiés de 40 nationalités différentes résident dans le pays[La plupart sont originaires des Balkans, du Moyen Orient et de la Corne de l’Afrique. Données ITC (Interpreti e Traduttori Consorziali).]. De surcroît, l’Italie est le port d’arrivée de la plupart des réfugiés qui fuient leur pays et essayent de se reconstruire une vie en Europe. La fréquence des débarquements[Données du Ministère de l’Intérieur.] et le surpeuplement des Centres d’Identification et Expulsion – à lui seul, le CIE de Lampedusa accueille environ 1800 immigrés, pour une capacité de 800 lits [Données pour janvier 2009.] – ont aggravé les problèmes de gestion, tandis que les solutions adoptées dans l’urgence bafouent les droits fondamentaux contenus dans la Constitution. Ainsi, pour réagir à la situation de Lampedusa, le ministre de l’Intérieur Roberto Maroni a proposé de construire un autre CIE sur l’île et de rapatrier immédiatement les immigrés qui débarquent sur les côtes. Ceci empêcherait les immigrés d’introduire une demande d’asile. Les propositions du ministre ont attisé les tensions et, fin janvier 2009, environ 1000 immigrés ont fui le CIE de Lampedusa pendant quelques heures pour manifester dans les rues, en rencontrant le soutien de la population locale. L’administration et les habitants de Lampedusa ont organisé une grève et manifesté pour s’opposer à la décision du ministre. L’île est déjà surpeuplée et sans moyens pour gérer le CIE existant[En ce moment, l’île de Lampedusa est assiégée par les forces de l’ordre et les manifestations ne cessent pas.].
« Tu sais s’il faut avoir la carte de résident pour acheter une carte Sim ? », me demande Abdi, un jeune somalien habitant la Clinica. De fait, la seule obtention d’un permis de séjour pour réfugiés n’accorde pas la carte de résidence et, pour connaître leur position sur la liste d’attente de la municipalité, les réfugiés doivent être joignables. La résidence est donc un enjeu crucial pour les réfugiés de Corso Peschiera. Bien évidemment, ce n’est pas seulement pour avoir un téléphone portable. Faute de résidence, il est tout simplement impossible d’avoir la carte d’identité ou l’accès au médecin généraliste, sans même parler d’un travail régulier ou d’un compte en banque.
La ville de Turin participe au programme SPRAR [Système de Protection des Demandeurs d’Asile et des Réfugiés.] et il existe des organismes compétents pour l’insertion des individus dans les structures d’accueil « officielles » et dans des parcours de formation. « Le problème, c’est essentiellement la difficulté de planifier quoi que ce soit et le manque des ressources », explique Deana, une bénévole d’une des associations du réseau SPRAR. « Les solutions d’urgence sont désormais des solutions permanentes. Malgré la réaction rapide de la mairie et le développement d’un réseau d’associations responsables du SPRAR, la liste d’attente est trop longue par rapport aux places disponibles. »
Certes, l’occupation de la Clinica n’aurait pas été possible sans le Comité de Solidarité, un groupe composé de bénévoles, de représentants des centres sociaux occupés et des associations. Le Comité a rétabli l’électricité et l’eau de la Clinica. Il fournit aussi un soutien logistique dans le domaine de l’accès aux services de santé et la communication avec les institutions et les médias. Cependant, la situation a dégénéré. L’occupation était prévue pour 80 personnes mais, à cause du buzz médiatique, ce sont aujourd’hui 230 personnes qui occupent Corso Peschiera 178. Quelques réfugiés ont même renoncé au programme d’accueil officiel en pensant qu’ils seraient mieux traités à la Clinica. Le Comité lui-même a fait l’objet de certaines critiques l’accusant de faire des coups médiatiques. « Il est plus difficile de travailler avec les réfugiés qui arrivent des établissements occupés. Il y a moins de collaboration. Parfois, ils refusent le peu que nous pouvons leur offrir parce qu’à leur avis ce n’est pas assez. Mais pour l’instant, nous ne pouvons pas offrir davantage », ajoute Deana.
La plupart des habitants de la Clinica ont débarqué à Lampedusa et sont arrivés à Turin après avoir fait le tour des structures d’accueil en Italie et en Europe. L’administration turinoise affirme recevoir un nombre excessif de demandes et ne pas disposer de suffisamment de ressources. Actuellement, la situation est stationnaire. « Je ne crois pas qu’ils vont être expulsés », dit Barbara, un membre du Comité. « Il n’y a pas d’autres solutions et l’occupation permet aux institutions de gagner du temps sans que les réfugiés dorment dans la rue. Ce que nous revendiquons, c’est l’octroi de la résidence. »
Publié sur Libértés! Amnesty International Belgique Francophone