L’Italie est l’un des premiers producteurs de tomates au monde. Outre les tomates, chaque année dans le sud du pays l’on récolte toutes sortes de fruits et de légumes, un travail qui nécessite une importante main-d’œuvre. Toutefois, ce n’est que récemment et grâce à la société civile polonaise, MSF et quelques journalistes indépendants qu’il a été possible de lever le voile sur la situation épouvantable des travailleurs saisonniers dans le sud de l’Italie, une situation proche d’une nouvelle forme d’esclavage.
Les données rassemblées dans Une saison en enfer, le dernier rapport de MSF sur les conditions endurées par les travailleurs saisonniers en Italie, sont effrayantes. L’étude, menée dans le sud de l’Italie de juillet à novembre 2007, révèle que 90 % des personnes interviewées n’avaient pas de contrat de travail et que 65% vivaient dans des logements insalubres, sans eau, ni électricité ni sanitaires. En outre, le rapport de MSF dénonce le fait que ces saisonniers, arrivés le plus souvent en bonne santé, ont développé des pathologies à cause des conditions de vie et de travail qui sont les leurs en Italie.
Même les pathologies curables deviennent chroniques parce qu’elles sont négligées. « Bien que les immigrés aient droit en Italie à une carte de santé qui leur accorde l’accès aux soins médicaux, 71% des saisonniers interrogés n’en possèdent pas. Ils ne sont pas informés ou ont tout simplement peur de se présenter devant les autorités. » Comme Alessandro Leogrande le raconte dans son ouvrage Uomini e Caporali (Hommes et Caporaux)[ Alessandro Leogrande, Uomi e Caporali, Mondadori, 2008, 252 p.], le système de quasi-esclavage développé dans le sud de l’Italie n’a pu être dévoilé qu’après des démarches lancées par le consulat de Pologne en Italie, interpellé par des associations polonaises suite aux nombreux cas de disparition de personnes parties travailler dans les Pouilles pour cueillir les tomates. Dans les campagnes des Pouilles, un grand nombre de morts suspectes avait en outre été observé et les affaires restaient non résolues.
La mobilisation des médias et des forces de l’ordre polonaises a permis de mieux comprendre les faits. Il a ainsi été révélé que plusieurs corps retrouvés aux abords des plantations et jamais identifiés étaient ceux d’ouvriers agricoles étrangers, attirés en Italie par des promesses d’un travail saisonnier bien payé mais ensuite enfermés dans des maisons insalubres et sous la garde de « caporaux » armés, souvent de la même nationalité qu’eux. Peut-être les ouvriers tués avaient-ils protesté contre leurs conditions de vie et de travail, demandé à être payés ou essayé de fuir pendant les périodes de forte demande de main-d’œuvre. La condition d’esclave est souvent due à ce que Alessandro Leogrande définit comme une « psychologie de la dépendance », notamment le mécanisme d’asservissement enclenché par les dettes accumulées, le manque de conscience de leurs propres droits et la peur des caporaux aussi bien que des autorités en cas de dénonciation.
Le cas des Polonais a révélé au grand jour une nouvelle forme d’esclavage qui s’appuie sur le transport et l’exploitation forcée d’êtres humains dans le but de soutenir l’une des principales productions d’un État fondateur de l’Union européenne. Ce phénomène qui se développe au centre de l’Europe implique l’exploitation d’immigrés sans papiers, de réfugiés politiques, pour la plupart d’origine africaine, aussi bien que de citoyens communautaires en situation régulière. Les enquêtes du journaliste Fabrizio Gatti (de l’hebdomadaire L’Espresso), d’Alessandro Leogrande et de MSF ont indiqué que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont les saisonniers originaires d’Europe orientale, donc des citoyens de l’Union, qui sont les plus exploités dans les campagnes italiennes. En effet, les Africains ont en général un projet migratoire de longue durée et cherchent dès lors un travail qui leur permette de se forger un avenir dans le pays d’accueil. À l’inverse, les immigrés issus des États membres de l’Union viennent en Italie pour mettre de l’argent de côté et se construire une nouvelle vie dans leur pays d’origine. Ils acceptent donc plus facilement des conditions de vie et de travail effroyables. Les « procès de Bari » qui ont jugé le cas des Polonais ont débouché sur des jugements historiques minant le système d’exploitation des travailleurs saisonniers. Grâce aux témoignages et aux écoutes téléphoniques, il a été possible d’identifier des éléments clés pour la compréhension du fonctionnement de cette nouvelle forme d’esclavage. En outre, la Région des Pouilles a adopté des décrets visant à éliminer le travail au noir. Cependant, les effets de ces mesures sont encore limités et aujourd’hui, en Europe, un système agricole se base encore et toujours sur un système criminel qui recourt à l’exploitation effrontée d’êtres humains.
Publié sur Libértés! – Amnesty International Belgique Francophone