« En ce moment en Italie, il y a un climat à la Mississippi Burning », déclarait Igiaba Scego, une écrivaine italienne d’origine somalienne après l’assassinat d’Abdul Guibre, un jeune d’origine burkinabé tué pour avoir volé un paquet de biscuits. Quelques jours plus tard, le 19 septembre 2008, à Calstelvolturno, près de Caserte (Campanie), 120 coups de pistolet et de kalachnikov tirés en pleine rue tuaient 6 immigrés d’origine africaine. L’Italie semble emportée par une vague de xénophobie sans précédent.
La vague de racisme qui secoue l’Italie va de pair avec les propositions du gouvernement en matière de sécurité. Peu après avoir été élu, le gouvernement mené par Silvio Berlusconi a introduit le « paquet sécurité », c’est-à-dire une série de mesures pour lutter contre la criminalité. Le fameux « paquet » porte l’empreinte évidente de la Ligue du Nord[Parti séparatiste et xénophobe mené par Umberto Bossi.], laquelle a proposé plusieurs amendements coercitifs pour en étendre la portée. Le parti xénophobe, ayant reçu une quantité impressionnante de suffrages lors des dernières élections, pèse de tout son poids sur les décisions du gouvernement, en particulier sur les mesures concernant la sécurité et l’immigration.
Les propositions contenues dans le « paquet sécurité » ont suscité l’indignation de la société civile aussi bien que du monde catholique, élément déterminant si l’on considère le rôle politique de l’Église dans le pays. « Il faut rechercher la sécurité à travers l’intégration et pas l’intégration à travers la sécurité », a ainsi déclaré un représentant de la Conférence épiscopale italienne. Cependant, si le gouvernement a fait marche arrière sur certains excès de zèle en matière sécuritaire, c’est seulement après l’intervention de la Commission européenne. L’immigration illégale est ainsi devenue un délit passible d’une amende et non d’un emprisonnement comme c’était prévu dans la première version du paquet législatif. Les autres amendements controversés incluent l’introduction d’un impôt et d’un examen d’italien pour la délivrance et le renouvellement du permis de séjour, la création d’un permis de séjour à points sur le modèle du permis de conduire, des restrictions sur le regroupement familial et les mariages mixtes, la tenue d’un référendum local pour l’établissement d’un camp rom ou d’une mosquée, l’augmentation des peines pour les individus qui favorisent l’immigration illégale, la création dès l’école primaire de classes séparées pour les étrangers, le prolongement du séjour dans les Centres d’Identification et d’Expulsion (CIE, auparavant connus comme CPT). Le tout accompagné d’une forte réduction du Fonds national pour l’Intégration et pour les Politiques sociales.
« La sécurité du pouvoir se base sur l’insécurité des citoyens » disait Leonardo Sciascia, un écrivain sicilien du XXe siècle. La dernière enquête menée par Demos et par l’Observatoire des Médias de Pavie sur la représentation de la sécurité dans les médias, publiée en novembre 2008[« La Sicurezza in Italia : Significati, immagini, realtà », Indagine di Demos, en collaboration avec L’Osservatorio di Pavia Media Research.], lève le voile sur le lien étroit entre la peur des citoyens italiens et le catastrophisme médiatique, indépendants de la réalité des délits commis. De fait, l’enquête révèle la multiplication de nouvelles concernant les délits en période préélectorale et une chute de la couverture médiatique des délits du même type six mois plus tard, bien que la courbe représentant les délits véritablement commis soit restée stable. En outre, l’étude montre aussi en quoi la perception de la sécurité dépend de la représentation de celle-ci par les médias. En novembre 2008, malgré que le pourcentage de délits commis soit légèrement plus élevé qu’en novembre 2007, les citoyens se disent plus en sécurité par rapport à l’année précédente[Idem, page 43.]. La conviction que la situation s’est améliorée est peut-être due à plusieurs actions symboliques menées par la coalition au pouvoir depuis mai 2008, entre autres l’envoi de l’armée dans les grandes villes, les mesures restrictives envers les immigrés et les expulsions des camps roms, des dispositions qui ont été énormément médiatisées et qui sont très tangibles dans la vie quotidienne des Italiens. Cependant, comme le dit Ilda Curti, échevine à l’intégration de Turin, « je me sens beaucoup plus en danger dans une ville assiégée par les forces de l’ordre parce que j’ai l’impression que l’on me suggère que je dois avoir peur. Il faut s’attaquer à la question de la peur des citoyens à travers un travail de réseau dans le social et pas en promettant qu’il n’y aura pas de dangers, parce qu’il y en aura toujours. »
Bien que les Italiens ne soient pas forcément racistes, il reste que les politiques du gouvernement alimentent la conviction que le problème repose sur « les autres ». Au plan local, nombre d’administrations ont introduit des ordonnances destinées à rassurer l’opinion publique. D’où, par exemple, la construction du « mur » de Padoue[Voir Libertés ! N°444 de mai 2008.] pour contrôler les allées et venues dans un quartier défavorisé, ou encore l’introduction du revenu minimum pour obtenir la résidence à Cittadella. Dans la ville de Trévise, suite à la demande de la communauté musulmane locale de disposer d’un lieu de culte, le maire a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de délivrer de permis pour la création d’une mosquée[Discours du maire de Trévise Giancarlo Gentilini, prononcé à Venise le 14 septembre 2008.] et que, « s’ils veulent prier, qu’ils aillent prier dans le désert ! » Le résultat est qu’à Trévise, les musulmans prient dans le parking d’un supermarché ou dans d’autres espaces en plein air, un phénomène qui a été appelé « le nomadisme de la prière » et qui a fait gagner à Trévise le surnom de « ville de la mosquée errante ».
En Italie, l’immigration est un phénomène relativement récent ; toutefois, comme le souligne le Rapport Caritas Migranti 2008, il a déjà atteint une dimension structurelle qui permet de comprendre que la société est en cours de changement et que davantage de ressources devraient être consacrées à l’intégration des milliers d’étrangers qui s’installent en Italie pour y rester et qui contribuent à la croissance économique et démographique du pays. « La législation concernant l’immigration est tellement contradictoire et complexe que de nombreux immigrés en situation régulière finissent par se retrouver en situation irrégulière. » De fait, la pénurie et la mauvaise planification des politiques d’accueil entraînent le développement de solutions d’urgence et augmentent le clivage social. Plus particulièrement, la proposition de créer des classes séparées pour les étrangers élimine les bases essentielles de l’intégration et ouvre la voie à un phénomène qui va au-delà du racisme, c’est-à-dire le manque de respect par pure ignorance.
À présent, la société civile joue un rôle essentiel pour la sensibilisation des Italiens et l’intégration des étrangers. En Italie, il n’existe même pas un observatoire du racisme et ce n’est que grâce au travail des intellectuels, des associations, de l’Église, des communautés d’expatriés, des centres sociaux et d’individus engagés qu’il est possible de développer des projets visant l’intégration. Au vu du peu de ressources disponibles, les résultats sont extraordinaires. Le soutien des institutions italiennes et européennes reste néanmoins nécessaire si l’on ne veut pas que ce pays devienne une véritable poudrière sociale.
Publié sur Libérté! – la revue d’Amnesty International Belgique Francophone